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littérature française - Page 211

  • Plus tard

    « L’enfant a attendu que l’orage passe. A la fois soulagée d’avoir retrouvé la maison et d’un seul coup replongée dans son atmosphère pesante, elle s’est d’emblée retranchée dans le silence. Ne rien dire, faire semblant de rien, encaisser sans broncher, se tisser une carapace d’indifférence… Il s’agissait de survivre. Quant à vivre, elle se disait que ce serait pour plus tard. Quand elle serait grande. Quand elle serait libre. »

     

    Nicole Versailles, L’enfant à l’endroit, l’enfant à l’envers 

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  • Mal à l'enfance

    Nicole Versailles signe son blog Coumarine, elle en a fait le sujet de Tout d’un blog (2008). Ce sont les Petites paroles inutiles. La dernière épithète est à contre-emploi. L’animatrice d’ateliers d’écriture en Communauté française de Belgique écrit depuis toujours, comme on le découvre dans L’enfant à l’endroit, l’enfant à l’envers (2008), un récit publié aux Editions Traces de vie. Et l’écriture permet de se décharger, souvent, de ce qui pèse trop.

     

    Lettre à Eugénie, le sous-titre, renvoie à sa grand-mère maternelle qu’elle n’a pas connue, mais dont une photo retrouvée au grenier la fait rêver. Un portrait comme on en faisait à l’époque, en grand chapeau, accoudée sur le dos d’une chaise, un mouchoir de percale à la main, d’une nonchalance très étudiée. « Grande, racée, élégante, fière ». Morte à quarante-deux ans. La narratrice cherche les mots pour le dire, et quand elle ne les trouve pas, reprend : « Je recommence… »

     

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    Bébé birman akha / Photo Annabelle Baumal

    http://escapade-asie.blogspot.com/

     

    Il n’est pas facile de trouver les mots quand on a si mal à son enfance. Flash-back. Pendant la première guerre mondiale, Eugénie a dû se séparer de ses deux enfants envoyés en Suisse dans des familles d’accueil. Comme Suzanne, cette fillette de trois ans, sa mère, « Elle » – le personnage qui incarne ici l’auteur – a été un temps une enfant séparée de ses parents et de ses frères.

     

    La grand-mère morte si jeune, avant qu’Elle ne soit née, a pressenti son destin tragique. Lors d’un dimanche en famille à la campagne, au moment de monter dans la carriole à chevaux, en retard, ce qui énerve son mari, elle trébuche au moment où les chevaux s’ébranlent, est traînée à terre sous les yeux terrifiés des enfants. « Cette chute causera ma mort », voilà ce qu’elle dit alors et qu’entend Suzanne, confiera celle-ci à sa fille peu avant de mourir elle-même.

     

    Le grand-père se remarie huit mois après. L’homme « bourru et solitaire » somme les enfants d’obéir en tout à « l’étrangère » et de l’appeler « maman », ce que Suzanne refuse obstinément. Pire, il interdit d’évoquer la mère disparue, fait disparaître toute trace de sa première épouse. Sa fille en souffre, et puis sa petite-fille qui n’a jamais perçu de lui la moindre trace d’affection.

     

    Gros plan ensuite sur la mère, une mère non idéale, accablée par de fréquents maux
    de tête – Elle cherche à la comprendre. Suzanne a échappé au père et à la belle-mère en épousant Louis, le deuxième fils d’un couple qui a engendré sept garçons et en a aiguillé quatre vers la prêtrise. Bourgeoisie très catholique. Suzanne et Louis ont d’abord un fils, qui restera l’enfant unique presque huit ans durant, avant la naissance d’une petite fille pendant la deuxième guerre, c’est Elle, puis très vite d’un petit garçon. Elle aurait dû s’appeler Christiane, mais en allant déclarer sa naissance, son père a choisi Nicole. Le changement de prénom répond à celui du nom, en 1913, Vidor devenu Versailles, un nom bien français qui lui plaît.

     

    Mais si le fils aîné a écrit dans un classeur bleu de belles pages sur une enfance heureuse, Elle et le petit frère – j’ai pensé à Marguerite Duras et à ses frères, une
    autre fratrie déchirée dans l’amour exclusif d’une mère – connaissent trop tôt le sentiment d’abandon et la solitude. En particulier Elle, laissée un jour sans avertissement à la campagne pour guérir son asthme « au grand air », « au grand taire » écrit l’auteur. Six mois de chagrin. Le retour au bercail n’est pas forcément le bonheur. La mère est autoritaire. Il y a l’heure de sieste obligatoire après le dîner. Les « non » décourageants, les interdits. Le cahier de brouillon où l’enfant exprime son désarroi trouvé et condamné. Alors la petite fille construit ses défenses, se réfugie
    dans l’imaginaire. Une petite sœur jumelle, des origines inconnues – « Je suis d’ailleurs ». Comment survivre en attendant de vivre, d’être libre, d’être heureuse ?

     

    Le récit de Nicole Versailles vibre encore intensément de blessures intérieures jamais refermées. Elle lui a donné un très beau titre, L’enfant à l’endroit, l’enfant à l’envers, dont on découvrira une des significations à la fin. On ne comprend pas pourquoi ce livre ne se trouve pas sur les tables des libraires, mais on peut le commander en ligne. Une recherche émouvante et courageuse.

  • Les choses manquées

    « Le Paradis. Oui, peut-être. Mais peut-être aussi que c’est bien ennuyeux le Paradis. Deux ans après, la France qui perd de justesse est devenue la France qui gagne, au Championnat d’Europe des nations. Platini marque le coup franc le plus foireux de sa carrière (on dira désormais une « arconada » pour désigner une toile aussi spectaculaire que celle du gardien espagnol). Tout le monde est joyeux, bien sûr. Mais pas aussi joyeux qu’on était triste le 8 juillet 1982. Normal. C’est tellement fort, la mélancolie – un peu comme l’adolescence. Et toutes les choses qu’on a manquées de justesse sont tellement plus grandes que celles qu’on a réussies. » (A la cinquante-sixième)

      

    Philippe Delerm, La tranchée d’Arenberg et autres voluptés sportives

     

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  • Emotions sportives

    Qui n’a pas lu, il y a dix ans, La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules ? Philippe Delerm, sur le même modèle, commente une cinquantaine de moments sportifs dans La tranchée d’Arenberg et autres voluptés sportives (2006). Aux sportifs, aux amateurs, cela rappelle de fameux souvenirs, de ces souvenirs que l’on partage avec tous ceux qui ont vécu aussi ces instants de sport magiques, inoubliables.

     

    Le titre rend hommage aux Classiques du Nord, « Classiques flandriennes, ou ardennaises. Tour des Flandres. Gand-Wevelgem. Amstel Gold Race. Flèche wallonne. Liège-Bastogne-Liège. Ce n’est plus tout à fait l’hiver, mais c’est tellement au nord. Tous ces noms installent à la fois une distance et une familiarité, liée à la succession rapprochée de ces rendez-vous. »  

     

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    Cela pourrait s’appeler « arrêts sur image » : le service à la cuiller osé par Chang à Roland-Garros contre Lendl, en 1989 ; le passage des patineurs, attendant l’évaluation de leur prestation au « kiss and cry », devant la caméra ; l’attente du coureur dans les starting blocks. Delerm se concentre sur l’instant fatidique. « Peur, plutôt, et désir de vivre seul ces quelques secondes où tout va se jouer. On a tout préparé et l’on ne peut plus rien, c’est effrayant. » (Filmer sa peur)

     

    Delerm mêle à l’histoire du sport au vingtième siècle ses propres souvenirs d’enthousiasme ou de transpiration. L’essai s’ouvre, dans Légende aux Tuileries, sur le souvenir d’un livre vert pomme reçu à la fin d’une année scolaire, une autobiographie du boxeur Georges Carpentier. En 1970, il le reconnaîtra aux Tuileries, « un vieux monsieur tout seul en pardessus, mains dans les poches, qui en fin d’après-midi fait sa petite promenade hygiénique ». Distinction, solitude, et lui de rester à distance. « Surtout ne pas effaroucher l’écho d’une légende. »

     

    Bien sûr, on mord plus aux textes consacrés aux disciplines familières. Qui regarde chaque année en juin le passionnant tournoi de Roland-Garros appréciera Ils connaissent le film. Ici l’auteur braque son attention non sur le joueur de tennis, mais sur l’arbitre au moment où il sait, où il sent qu’il doit descendre de sa chaise pour vérifier le point sur le court. « Une fois qu’il a touché le sol, il trottine vers le lieu du litige, et là encore la maîtrise est subtile : assez rapide pour manifester son sens des responsabilités, sa certitude ; assez lent pour ne pas avoir l’air de succomber à la pression populaire ni à l’ire du joueur prétendument spolié qui l’attend de pied ferme. »

     

    Chat écorché propose une réflexion touchante sur les jeunes championnes de gymnastique, maigres, pâles, quand elles retournent s’asseoir, une veste sur les épaules, « ces petites filles si explosives sur le tapis, sur le cheval, aux barres asymétriques, et puis si tristes et résignées dans l’immobilité. Leur corps osseux, pas même musculeux, n’a le droit de bouger que dans l’intensité barbare de la presque perfection. » En contraste, les lianes élégantes qu’on doit, selon Delerm, à Fosbury : « Il a tout simplement inventé un nouveau type de beauté féminine : la sauteuse en hauteur. » (Elles portent des noms slaves…)

     

    Hommage aux décathloniens (Héroïsme pendulaire), poésie du curling – « Par leur pureté, certains gestes sportifs nous disent autre chose » (Quitter l’enfance) – beaucoup de grands moments, pour les sportifs et pour les spectateurs. Mais le sport, ce sont aussi les ratés, comme un drame sur une patinoire. « Tomber n’est rien. Mais continuer, sourire, saluer comme si tout avait été voulu. » (Sourire après)

     

    Champion déchu (toutes catégories), Cocotte nerveuse (ping-pong), Les flambeurs funambules (saut à la perche), Delerm s’amuse avec les titres, lui qui a rêvé d’être titreur à L’Equipe.  « La musique du sport est singulière : plus forte, plus belle encore quand elle joue ses gammes. » (Pays d’avant)

  • Les chats moines

    « Tout comme les chats s’accordent aux écrivains, à leur solitude et à leur silence, les chats s’associent au recueillement, à la paix et à l’isolement de la vie monastique. Je ne sais pas s’ils sont habités par une grande vie intérieure. Ils en donnent du moins le sentiment – et j’en ai pour ma part l’intuition. Regardez-les quand ils s’étendent, bien droits, les pattes de devant repliées sous leur poitrail, les yeux mi-clos ! On les croirait en méditation, en prières, en mâtines, comme si leurs pattes ou leurs mains étaient enfouies dans les manches de leur robe de bure. Ils prient. Ce qui ne les empêche pas d’avoir le goût du bien-être. Non pas celui du luxe ostentatoire mais celui d’un confort modeste et tissé d’habitudes. Le repas à telle heure, le repos à telle autre et les actions de grâces dans les moments perdus. Ils sont faits, en somme, pour obéir aux règles. Les leurs, bien entendu. Les monastères leur conviennent. Les cloîtres leur semblent un lieu idéal de promenade. Le rêve d’un chat ? Etre un bénédictin. Ou mieux : un chartreux. »

     

    Frédéric Vitoux, Dictionnaire amoureux des chats

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